Typologies

BLANCHIMENT DE CAPITAUX ET FINANCEMENT DU TERRORISME RESULTANT DE LA CORRUPTION EN AFRIQUE DE L’OUEST

RESUME ANALYTIQUE

En  dépit  des  complexités  des  marchés  africains  et des particularités du contexte sociologique de  développement,  l’Afrique  de  l’Ouest  continue  d’attirer des investissements étrangers massifs dans tous les domaines. Paradoxalement, cette ruée des investisseurs  américains,  européens,  asiatiques  et  australiens  vers  la  région,  depuis  des  décennies,  peine  encore  à  se  traduire  par  une  amélioration  conséquente des conditions de vie des populations. Parmi  les  atouts  africains  qui  attirent  les  flux  privés  vers le continent, l’on note le potentiel en ressources naturelles, l’émergence d’une classe moyenne, l’amélioration  du  climat  des  affaires,  le  dynamisme  démographique  et  la  diversification  croissante  des  économies.

Tandis que diverses stratégies nationales de développement sont mises en place par les pays de la  région  pour  résorber  le  chômage  et  favoriser  la  création de richesses, la question de la dépendance à  l’aide  publique  au  développement  ne  cesse  de  remettre  continuellement  en  question  l’adéquation  des  politiques  publiques  et  la  capacité  de  financer  un  développement  accéléré  et  soutenu  à  partir  de  capitaux propres. Plusieurs diagnostics ont été posés à cet effet pour examiner les facteurs à l’origine de cette déperdition critique des ressources. Parmi ces  facteurs,  l’on  note  les  flux  financiers  illicites  (FFI).  En  effet,  les  rapports  du  CNUCED  (2020),  de  l’OCDE (2018) et de Thabo MBEKI (2014) sur les flux financiers  illicites  en  provenance  d’Afrique  ont  en  commun  d’avoir  identifié  trois  (3)  catégories  de  sources de FFI à savoir : les activités criminelles, les activités commerciales et la corruption.

La  région  ouest-africaine  se  caractérise  par  une  forte  densité  démographique  et  une  diversification  croissante de son économie. Elle a connu au cours des quarante (40) dernières années, une dynamique d’urbanisation sans précédents. La modicité  des  transferts  internationaux,  l’importance  de  la  dette  publique  de  plusieurs  pays  par  rapport  à  leurs  capacités  de  remboursement,  les  difficultés  persistantes pour mobiliser l’épargne locale et les ressources budgétaires viennent amplifier les défis à relever pour atteindre les objectifs sociaux,  environnementaux  et  économiques  d’un  développement  durable  et  équitable.  Dans  un  tel  contexte,  par  ailleurs  marqué  par  un  faible  taux  de  bancarisation  et  une  forte  prédominance  du  cash,  la  corruption  a  une  expression  sévère  et  difficile à contrôler.

La corruption a toujours constitué un frein majeur à l’émergence des économies ouest-africaines. En fait, elle  altère  l’intégrité  des  indicateurs  économiques  et  fausse  les  prévisions  du  développement.  Dans  plusieurs pays de la région, la corruption, en particulier celle impliquant les pouvoirs publics, est une source principale d’enrichissement et de  blanchiment  de  capitaux  (BC).  Elle  entrave  la promotion  de  la  transparence,  la  sécurité  des  personnes et de leurs biens, et compromet sérieusement l’intégrité du système financier. Pis  encore,  la  corruption  sert  d’élément  catalyseur  à de nombreuses activités criminelles dont le terrorisme  et  son  financement.  Ses  effets  néfastes  sur  la  gouvernance,  le  développement  humain  et  la  stabilité ne sont plus à démontrer.

Mesurant l’ampleur de ce phénomène dans le monde,  la  communauté  internationale  sous  l’égide  du Groupe d’Action Financière (GAFI) a intensifié les efforts  de  lutte  contre  la  corruption,  en  privilégiant  l’objectif de déposséder les auteurs des revenus tirés des activités corruptives, à travers des mécanismes de  prévention  et  de  répression  du  blanchiment  de  capitaux  et  financement  du  terrorisme.  Nonobstant  ces  efforts,  la  corruption  persiste   insidieusement,  tant dans le secteur privé que dans le secteur public. C’est  pourquoi,  il  est  apparu  nécessaire  pour  le  GIABA, d’entreprendre une étude de typologies à  l’effet  de  faire  ressortir,  sur  la  base  d’études  de  cas, les principales méthodes et techniques de BC/FT  résultant  des  diverses  pratiques  corruptives  en  Afrique de l’Ouest.

L’étude  a  révélé  que  la  corruption  alimente,  à  une  proportion sérieuse, le blanchiment de capitaux dans la mesure où les produits qui en résultent sont réinvestis  de  différentes  manières  dans  le  circuit  économique pour revêtir une apparence légitime. A son tour, le blanchiment de capitaux garantit à leurs auteurs  les  opportunités  de  jouir  impunément  des  produits de la corruption.

Elle  a  aussi  révélé  que  pour  blanchir  le  produit  de la corruption, les délinquants ont recours à différentes  techniques  et  méthodes.  Dans  les  cas  de  blanchiment  les  plus  sophistiqués,  on  note  la  superposition  des  opérations  bancaires  incluant  le  transfert  de  l’argent  sur  plusieurs  comptes  au  plan  national et international. Dans le cadre des transferts internationaux, certains pays considérés comme protecteurs du secret bancaire sont choisis comme destination  finale  des  fonds  lorsqu’ils  doivent  être  gardés sur un compte bancaire. D’autres méthodes sophistiquées impliquent la création de sociétés écran  indirectement  contrôlées  par  des  PPE  ou  la  mise en place des hommes de paille afin de collecter et  recycler  les  fonds  issus  de  la  corruption.  Dans  la  grande  majorité  des  cas,  les  fonds  issus  de  la  corruption circulent en espèces pour alimenter directement les dépenses du train de vie, les acquisitions de biens immobiliers etc.

Dans l’ensemble, les personnes mises en cause sont majoritairement des agents publics, au premier rang desquels  se  trouvent  les  PPE,  qui  abusent  de  leur  position privilégiée de fonctionnaire de l’Etat préposés à assurer un service public conformément au respect des lois et règlements applicables à chaque secteur d’activité.  Les  produits  générés  par  leurs  pratiques  corruptives sont systématiquement blanchis, notamment dans des produits financiers ou boursiers proposés  par  les  institutions  financières,  et  aussi  à  travers  les  secteurs  de  l’immobilier,  l’agriculture,  l’élevage et autres activités commerciales formelles ou  informelles.La  ré-introduction  des  fonds  issus  de la corruption dans le circuit économique légal se fait  par  des  opérations  de  versements  d’espèces,  de  remises  de  chèque,  de  virement  de  compte  à  compte et de banque à banque, etc.

En outre, les législations nationales sur la protection des dénonciateurs sont à divers stades de déploiement. Non seulement les cadres et politiques de recouvrement d’actifs ne sont généralement pas  adaptés  aux  objectifs  de  la  LBC/FT,  mais  le  manquement aux obligations de déclaration de patrimoines et autres mesures de transparence n’est pas non plus assorti de sanctions proportionnées et dissuasives. 

Fait marquant, la plupart des pays ayant des agences nationales  de  lutte  contre  la  corruption,  n’ont  pas  assorti  ces  institutions  de  la  qualité  d’officier  de  police  judiciaire,  bien  que  dans  quelques  pays  (tels  que Bénin, Burkina Faso, Niger), elles sont autorisées à exercer les droits reconnus à la partie civile.

En  termes  de  défis,  les  pays  sont  confrontés  à  la  difficulté  d’assurer  une  coordination  efficace  des  réponses nationales au blanchiment de capitaux et à la corruption, en raison d’un manque de coopération entre  les  agences.  En  outre,  la  détection  des  cas  de  corruption  et  les  enquêtes  sur  ces  derniers  ne  tiennent  pas  compte  des  exigences  de  la  LBC/FT, notamment en matière de retraçage et de confiscation des produits tirés de la corruption.

Bien que cet exercice de typologies n’ait pas permis d’établir et de documenter le lien entre la corruption et  le  financement  du  terrorisme,  il  a  néanmoins  donné  des  indications  sur  le  niveau  de  risque  de  FT  associé  au  phénomène.  En  effet,  la  capacité  de  la  corruption  à  alimenter  la  criminalité  organisée  et  d’autres  infractions  sous-jacentes  au  blanchiment  de  capitaux  fait  qu’il  est  essentiel  que  les  autorités  compétentes  des  États  membres  comprennent  et  apprécient pleinement cette interrelation

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